J'ai enfin terminé le visionnage du lien dailymotion, dans cette même page, fourni par feu Milord. Il renvoie à une vidéo intitulée : "Les lumières : un antihumanisme" et elle est soutenu par Salim Laïbi, qui se dit sans étiquette mais qui reprend aisément la doctrine de la droite nationale, et par Marion Sigaut, qui provient de Debout La République, mouvement promu par non moins droitier et populiste, Nicolas Dupont-Aignan.
L'objectif de cette intervention vidéo est de remettre en cause que l'humanisme n'est pas le fruit des Lumières et, pire que cela, les Lumières allaient contre l'humanisme.
je ne me ferais certainement pas défendeur des Lumières autant que je ne me ferais pas défenseur de ce qui est dit dans cette vidéo car elle est, dans sa méthode d'appréhension de l'Histoire, tout bonnement indéfendable. Je ne suis pas non plus un érudit de l'Histoire. Juste quelqu'un avec un bon sens qui cherche à comprendre cette récupération de l'Histoire par la droite nationale et comment elle s'y prend pour faire passer ses idées.
Pour Sigaut, l'humanisme commence avec les missions jésuites sur le continent américain, toute fin XVème siècle. A partir de là, Sigaut n'aura de cesse d'opposer les gentils jésuites aux méchants Lumières, ces bourgeois francs-maçons jansénistes. Il s'en suit une succession d'exemples montrant à quel point les Lumières étaient très très méchants.
Petite aparté pour commencer : il est dit dans cette vidéo que la syphilis a été ramené en Europe à cause des indiens d'Amérique !
Pour Sigaut, l'humanisme prend racine avec les jésuites donc il s'agit pour elle d'un mouvement légitimement chrétien. A ce propos, je ne suis pas grand spécialiste, mais faire l'impasse sur Erasme, en réduisant l'origine de l'humanisme à la découverte de l'Amérique, c'est oublier une petite chose essentielle dans l'appréhension de ce sujet.
A quatorze minutes, toujours sur l'origine de l'humanisme, Sigaut sous-entend que l'Eglise s'est opposée à l'esclavagisme des indiens. L'abolition de l'esclavage, ce sont eux qui l'ont amorcée, dirait-elle presque !
Le XVIIème siècle voit se développer le jansénisme, une doctrine religieuse qui pensait que tous les individus n'étaient pas promis au même salut. Pour être un peu politique, c'était une branche droitière du christianisme en réponse à la montée du protestantisme, elle-même couplée à la montée du capitalisme en Europe. Les jansénistes sont perçus dans la vidéo comme des sectaires antihédonistes et antiscientistes. Comme si les jésuites ne l'étaient pas eux aussi !
Louis XIV, décrit dans la vidéo comme le grand roi du bien commun n'a cessé de combattre les jansénistes et lorsqu'il fut amoindri et ses forces l'avaient quitté pour laisser la place à Louis XV, le jansénisme a gravi les échelons de la politique et de la magistrature dans un siècle censé être lumineux.
Comprenez bien que l'historienne Sigaut fait un curieux mélange des genres en mêlant la secte philosophique des Lumières (se gaussant d'utiliser ce mot qui a un autre sens aujourd'hui) et celle des des jansénistes.
Dans la forme,
1° Sigaut se place dans un mélange subjectif-objectif
2° Elle se place dans un point de vue du citoyen populaire regardant les élites
3° mais chose encore invraisemblable, elle n'hésite jamais à regarder le siècle des Lumières avec son regard de femme du XXIème vers le XVIIIème.
A 37 minutes, l'inventaire commence. Il recense tous les antihumanismes ici et là, provenant des écrits plus ou moins en rapport avec les Lumières, avec pour objectif de prouver que les Lumières étaient des très très très méchants et que Mélenchon ne devrait pas s'en revendiquer !
Elle insiste à dire que les jésuites ont applaudi la parution de l'Encyclopédie et qu'en retour, les jésuites ont été attaqués par les Lumières.
D'ailleurs, c'est quoi ces Lumières pour Sigaut : Diderot dont elle pense que c'était un journaliste plus qu'un philosophe ; Voltaire dont elle pense - et je ne lui donne raison - qu'il était un aristocrate méprisant et libéral ; Piarron de Chamousset qui n'a rien des Lumières mais cet homme fut cité par Diderot donc, pour Sigaut, c'est bouclé, tout le monde va dans le même panier.
L'Encyclopédie était pourrie de francs-maçons. Diderot en était entouré, dit-elle. Entre les lignes, il faudra comprendre que Sigaut est déçu que Diderot n'en soit pas !
Il y a une chose récurrente encore une fois dans le discours de la droite nationale car, ne le cachons pas, ce colloque n'en est pas un : c'est un meeting politique prenant pour objet l'histoire. Cette chose consiste à prendre un exemple, une partie pour prouver, ceteris paribus, que le "tout" est du même acabit.
Pour Sigaut, Voltaire, c'est les Lumières. Quand les Lumières à travers sa bouche ont dit que l'oisiveté menait à la délinquance, que le supplice est tolérable, notamment dans le cas du régicide Damiens alors que le
bon roi Louis XV l'avait grâcié de la condamnation à mort, quand il est dit que le lumineux Voltaire consent à l'exploitation d'esclaves,
il est certain que cela fait tâche, même en faisant la part des choses car Sigaut, pour ce qui est des anachronismes, est une experte.
Nous sommes en effet loin de tout humanisme... Mais il est évident que de limiter ce siècle à des opinions bourgeoises, même si les exemples s'amoncellent, cela est assez peu repésentatif de ce que les Lumières ont transmis jusqu'ici, notamment en faisant table rase du fanatisme et du mysticisme. Je pense que, peu importe qui étaient les Lumières, mais les valeurs que nous en retirons dans la mémoire collective - même si elles n'étaient pas tout à fait représentative de l'époque à laquelle ce tournant anticlérical est apparu - sont indéfiniment bonnes pour tous et ne sont certainement pas promus dans les rangs des nationalistes.
Un exemple, une généralité : voilà comment la droite nationale réfléchit. Et là, personnellement, je n'ai pas peur de commettre une généralité car c'est plus un mode de pensée politique reconnu d'entre tous qu'un authentique préjugé de ma part. Voltaire, c'est les Lumières ! Les Lumières, c'est l'Encyclopédie ! Etc.
Un peu plus amusant, Voltaire encourage au travail et même à travailler le dimanche après-midi pour contrer la pauvreté. Ce genre de propos dans la bouche de la catholique nationaliste Sigaut me fait toussoter car s'il y a bien une classe qui promeut l'effort au travail et la gloire par le mérite, c'est bien la bourgeoisie. S'insurger contre Voltaire sur ce point, c'est vraiment oublier ce que Sigaut ou Laïbi représentent.
Derrière ce ton poissonnier, cette mise en scène orientée de l'histoire, vulgarisante de surcroît, Sigaut continue d'énumérer des exemples, presque à chaque fois peu précis sur leur sources. Le portrait exemplaire qu'il est fait de Chamousset, à partir d'un ouvrage dont j'ai mis le lien à la fin, est particulièrement juteux : si l'on croit le dieu wikipédia, ce type est un génie ! Mais en écoutant Sigaut, c'est l'homme qui voulut chasser la pauvreté de l'hôpital en envoyant les enfants se faire élever par des Thénardiers et que, sans amour reçu, ils deviennent de bons soldats. C'est très réducteur mais en effet, il l'a écrit. Ce fut même appliqué par Choiseul. Chamousset est aussi celui qui pensa d'autre moyens pour faire du profit dans une époque où la traite était moins rentable... mais il a très peu à avoir avec les Lumières.
Chose amusante, à 1h16 min, un auditeur du colloque demande à Sigaut : "C'est quoi les Thénardiers" ? Je veux pas me moquer de la culture, on peut ne pas connaître les Thénardiers mais cela oblige le préjugé ! Là n'est pas le sujet et je ne voudrais pas passer pour méprisant.
Les Lumières, c'est le début du libéralisme et même de la mondialisation ! Dans la tête de la droite nationale, ça fait tilt. Mais ça prête à sourire. Alors pourquoi Sigaut dit ça : c'est notamment en terme d'impôts - qu'il faut supprimer -, notamment sur les droits du travail. Puis elle généralise.
Elle va même très loin ! (1h32min)
Notons le libéralisme est un courant du XIXème. Cela suffit à discréditer il me semble les remarques de Sigaut qui ne touche jamais les religieux ou la bourgeoisie.
Dernier élément, et là je pense qu'on aura fait un rapide tour de la manière dont a été traité ce pan historique par une historienne à la panse de commerçante impeccante, Voltaire - sorte de fouille-merde zemmourien de l'époque - a défendu un pédophile.
En conclusion, je reconnais bien là le développement historique issu d'un courant qui a toujours promu historiquement la division et les inégalité de nature ; il nous a été servi une vision historique très orientée d'un siècle des Lumières forcément mauvais. Un traitement malhonnête de l'histoire... mais bon, avec un tel titre, pouvions nous attendre un quelconque équilibre.
Pour ceux que ça intéresse, ce qui est cité dans la vidéo est à partir de la page 236 :
http://books.google.fr/books?id=qzJEAAAAcAAJ&pg=PA65&lpg=PA65&dq=licurgues&source=bl&ots=9gF25tILIk&sig=ShPhIHnfiqMTxNs6ATh-REK-Eo8&hl=fr&sa=X&ei=ddZ3UNyVN-Kk0QWMtoF4&ved=0CEYQ6AEwBg#v=snippet&q=241&f=false