Lilith, reine des succubes
Voici ce qu'en dit le Dictionnaire du Diable, de Roland Villeneuve :
Sanguinaire, jalouse, luxurieuse et impudique, à la ressemblance de la suméro-akkadienne déesse Lilitu, dont son nom très probablement dérive, Lilith apparaît comme la reine des succubes. Cent quatre-vint mille servantes sont à ses ordres, toujours prêtes à envahir notre univers, vivant dans les maisons en ruines, sortant de nuit et se nourrissant de pus et de vermine. Incarnation du Mal, Lilith est la terreur des femmes en couches, car on la soupçonne de voler les nouveau-nés pour les dévorer à l'instar d'une goule. Aussi place-t-on cette inscription sur le mur de la chambre des parturientes :
"Adam et Eve, ici ; Lilith dehors !"
Une autre tradition en fait la première femme d'Adam, dont elle aurait eu d'innombrables démons, avant de s'enfuir pour épouser Samaël, l'ange de la Mort. Rémy de Gourmont devait subtilement évoquer le caractère imprévu et morbide des vices de Lilith que, pour sa part, Victor Hugo comparait à une femme fatale, résumant l'âme d'un monde disparu :
"Afin qu'Adam goûtât le fiel avant le miel
Et le baiser du gouffre avant celui du ciel
Eve était nue, Isis-Lilith était voilée
Les corbeaux l'entouraient de leur fauve volée ;
Les hommes la nommaient Sort, Fortune, Ananké ;
Son temple était muré, son prêtre était masqué ;
Elle buvait du sang dans le bois solitaire ;
Elle avait des autels effrayants. Et la terre
Subissait cette abjecte et double obscurité ;
En bas Idolâtrie, en haut Fatalité."
Autres précisions
Lilith apparaît dans les mythes juifs, sumériens, arabes, et même teutoniques et on la cite par deux fois dans la Bible (Isaïe et Job). Mais ses origines, pour peu que l'on puisse remonter plus en avant dans le temps, sont sumériennes. Personnage secondaire de "l'épopée de Gilgamesh" (VIIe siècle av. JC), elle sert de demoiselle de compagnie à la déesse Inana, conduisant les hommes des champs vers le temple d'Erech pour l'accomplissement de coutumes sacrées et de nature sexuelle. Elle se transforme ensuite dans la mythologie assyro-babylonienne en deux catégories de démons de la tempête : les Liliu démons masculins et les Lilitu démons féminins.
A ce propos les histoires traitant des démons Babyloniens mentionnent que Lilith (Alors appelée Lillithu ou Ardat-Lilli) n'était pas (à cette époque) un démon à part entière mais simplement une humaine possédant d'immenses connaissances et quelques pouvoirs spéciaux. Repoussée par les démons qui ne voulaient pas d'elle, elle profita de ce qu'elle connaissait leur nom sacré pour les invoquer et par divers pactes gagna leurs pouvoirs... elle devint alors celle qu'on connaît, la ravisseuse, plongée dans le stupre, la reine des succubes.
Ce n'est que plus tard, que Lilith redevint un démon spécifique. Elle hantera les légendes et superstitions juives durant le Moyen Age, puis réapparaîtra au XIXème lors duquel elle inspirera les Romantiques. Suivront les adeptes du satanisme, du luciférisme et d'occultisme mais aussi d'astrologie, de littérature, d'art ou de musique. Difficile de concevoir un point commun entre Carl Jung, Dante Gabriel Rosetti ou Aleyster Crowley ! Même le mouvement féministe se l'appropriera dans un engouement dû à la légende suivante :
La première Eve
Il est au sein même de la Genèse une contradiction qui a tourmenté plus d'un théologien. Ainsi, dans le premier récit de la création est-il écrit :
"Dieu créa l'homme à son image, à l'image de dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa" (Gen 1-27). Alors que dans le second récit de la création, Adam est seul créé le sixième jour, puis s'en suit l'épisode célèbre :
"Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit l'une de ses côtes et referma la chair à sa place. Yahvé Dieu bâtit en femme la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena à l'homme. L'homme dit : "A ce coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme, car c'est d'un homme qu'elle a été prise, celle-ci ! " (Gen 2-21)
De fait existe-t-il certaines légendes judaïques, qui font de Lilith la première femme avant Eve. On peut en trouver une version écrite dans l'alphabet de Ben Sira (IXème siècle). En voici un extrait :
"Lorsque l'Éternel a créé son monde et a créé le premier homme, Il a vu qu'il était seul et lui a aussitôt créé une femme de la terre comme lui, et son nom était Lilith. Aussitôt ont-ils commencé à se quereller. Lui disait : "Tu te coucheras en dessous" et elle disait : "C'est toi qui coucheras en dessous, puisque nous sommes égaux et tous les deux formés de la terre. "
Et ils ne s'entendaient pas. Quand Lilith a vu qu'il en était ainsi, elle a prononcé le Nom ineffable (le Tetragramaton) et s'est évanouie dans l'air..."
Puis, Yahvé dépêcha trois anges à la poursuite de Lilith : Sinwy, Sinsinwy et Samengelf. Ils la trouvèrent sur les bords de la Mer Rouge où, en compagnie des démons, elle s'adonnait aux orgies les plus répugnantes (la superstition hébraïque voulant que l'eau attire les démons).
Aux envoyés célestes venus la ramener, elle répondit : "Comment retournerais-je à l'Eden, après avoir goûté les joies les plus exquises sur les rives de ce fleuve ? ". Les anges menacèrent d'immoler chaque jour mille de ses rejetons infernaux. Elle leur rétorqua qu'il était dans sa nature de tuer les enfants, et de menacer les femmes enceintes. Pourtant, elle leur promit de ne pas s'attaquer aux nouveau-nés protégés par leurs trois noms et ils la laissèrent à ses obscènes occupations. C'est la raison pour laquelle certaines sages-femmes juives mettaient au cou des petits enfants des pentacles portant les noms des trois anges, et qu'elles inscrivaient sur les murs de la chambre où reposaient les femmes en mal d'enfantement, les mots : adim ch anah chouts lilith ("que Lilith soit éloignée d'ici").
Depuis, par jalousie, Lilith tente de séduire les hommes (descendants d'Adam et Eve) endormis et isolés, afin d'engendrer, grâce à la semence qu'ils perdent en dormant, les Shedims, les Rouchims et les Linilim ou Liliots. Ceci permet de l'assimiler à une succube et, à l'instar de la plupart de ces créatures qui passent aisément du succubat à l'incubat, on la dépeint fréquemment comme androgyne. Lorsqu'elle ne peut détruire la vie d'un enfant d'homme, de dépit, elle se tourne contre les siens. Et n'ayant pas goûté aux fruits de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, elle jouit de l'immortalité ; contrairement d'ailleurs à beaucoup d'autres démons. Elle peut être à ce titre être appelée Déesse Noire.
Diverses facettes de Lilith
Ils sont nombreux et parfois contradictoires, comme souvent dans la démonologie.
Lilith se rapproche de l'Empousa de la mythologie grecque, fille d'Hecate, séduisant les hommes durant leur sommeil, suçant leur sang et goûtant leur chair, ou de Lamiae (d'où serait dérivé le terme Lamie ?), une reine lybienne délaissée par Zeus, prenant l'apparence d'un fantôme terrifiant pour enlever et dévorer les enfants afin de se venger d'Hera qui par jalousie fit périr les siens.
Elle est associée à la Lune Noire. En astrologie, on nomme parfois ainsi le second satellite de la Terre, qui serait aussi le second foyer de l'orbite lunaire. Dans la Kabbale, elle règne sur le vendredi.
Dans certaines légendes, elle trouve refuge sous la mer et on la nomme reine de Zmargad qui pourrait être le nom de son royaume sous-marin.
Comme beaucoup de démons, ses apparences sont variées : citons celles de femme sphinx (Salomon soupçonnera la reine de Sheba d'être Lilith déguisée à cause de ses pieds poilus), à queue de poisson ou de serpent. Serpent, que l'on retrouve dans l'iconographie chrétienne, où l'on donne souvent au serpent qui tenta Eve les traits de Lilith. Non content de tromper Eve, Lilith l'aurait aussi fécondée (on retrouve ici l'androgénie), donnant naissance à Caïn. Une autre version rajoute que Caïn et Abel se seraient disputés Lilith. Caïn aurait alors été tenté par l'inceste dont l'ombre plane sur la démone. Cette image du serpent poursuit Lilith jusque dans le Zohar (ouvrage kabbalistique du XVIIe siècle). Elle y est décrite comme la compagne de l'ange de la mort : Samaël. On peut les assimiler à un pendant maléfique du couple Adam / Eve. La tradition kabbalistique veut en outre que Dieu ait castré Samaël, raison pour laquelle Lilith vole la semence des hommes. Le couple Lilith / Samaël ne pourrait s'unir que par l'intermédiaire d'un dragon aveugle avec lequel s'accouple la démone durant les périodes de grands malheurs (peste, famine...).
Le Zohar laisse aussi entendre que la Matronite, la compagne de Dieu, l'ayant quitté, celui-ci prit Lilith pour amante.
Les succubes
Un mot sur les Succubes ??
Succube, du latin subcubare : coucher sous. Démons lascifs revêtant une forme et un comportement féminins afin de commettre divers actes malveillants, le plus souvent en rapport avec des pratiques charnelles. Les succubes choisissent les plus belles enveloppes corporelles possibles, aussi elles sont les femmes les plus sensuelles et les plus magnifiques qu'on puisse imaginer. Elles détournent les hommes de leur droit chemin en faisant appel à leur faiblesse pour leur corps, et leur font perdre leur âme. Elles soutirent aussi la semence de l'homme pour engrosser des femmes par l'incubat. L'enfant ainsi donné est bien entendu un semi-démon (Merlin l'enchanteur est lui-même le fruit d'un incubat, d'un terrible démon avec une nonne à l'âme immaculée qui fut abusée).
Mais la succube, avant toute chose est un démon. Elle est donc androgyne, et, aussi troublante qu'elle puisse être, reste affreusement dangereuse, volcanique, imprévisible, violente et sans aucune pitié.