Né le 11 décembre 1810 à Paris dans un milieu aisé et cultivé, doué de grandes facilités, le jeune Musset mena une adolescence dissipée de dandy. Il entreprit des études de droit et de médecine, qu'il ne termina pas, et fréquenta, dès 1828, le Cénacle romantique chez Hugo et chez Nodier, où il rencontra notamment Vigny, Mérimée et Sainte-Beuve.
Précoce, brillant, célébré, il publia son premier recueil de vers, Contes d'Espagne et d'Italie (1829), à l'âge de dix-neuf ans et remporta un succès immédiat. Malgré cette gloire précoce, il connut une infortune relative avec ses pièces de théâtre, telles la Quittance du diable, qui ne put être représentée, et la Nuit vénitienne (1830), qui fut un échec retentissant. La mort de son père en 1832 l'amena à se consacrer entièrement à la littérature et à en faire son métier. Auteur doué et sûr de son talent, il fut cependant profondément blessé et échaudé par l'échec de la Nuit vénitienne; il décida alors que les pièces qu'il écrirait seraient désormais destinées non pas à la représentation, mais - fait original et presque unique dans la littérature française -, exclusivement à la lecture. Parmi les comédies de mœurs romantiques qu'il publia entre 1932 et 1934, à quoi rêvent les jeunes filles, la Coupe et les Lèvres et Namouna, furent regroupées sous le titre Un spectacle dans un fauteuil, qui traduisait son choix d'écrire un théâtre destiné à être lu chez soi et non pas représenté. Les Caprices de Marianne (1833), Fantasio (1834) et On ne badine pas avec l'amour (1834) virent le jour sous la forme de livrets.
En 1833, Musset rencontra celle qui devait être le grand amour de sa vie, la romancière George Sand, de sept ans son aînée. Tumultueuse, orageuse, leur relation s'interrompit momentanément en 1834, lorsque George Sand entama une nouvelle liaison avec le docteur Pagello, qui soignait Musset lors de leur voyage en Italie. En 1835, après plusieurs ruptures violentes, cette passion prit définitivement fin, laissant à Musset la douleur d'un échec sentimental cuisant, mais donnant à son œuvre une profondeur qui lui manquait encore.
À la fin de l'année 1834, il enrichit son théâtre d'un chef-d'œuvre, le drame historique Lorenzaccio, puis du Chandelier, l'année suivante. Dramaturge incompris, il avait en revanche obtenu un immense succès, en 1833, avec son poème romantique Rolla: le cycle des Nuits, écrit après sa rupture et ancré dans son expérience sentimentale, conforta sa réputation de grand poète. Cette œuvre allégorique, où le poète dialogue avec sa Muse, parut de 1835 à 1837 (la Nuit de mai, la Nuit de décembre, la Nuit d'août, la Nuit d'octobre), et comporte quelques-unes de ses meilleures pages. Refusant la mission sociale de l'écrivain prônée par le nouvel esprit romantique, il y privilégiait l'émotion, s'attachant à décrire la variété et la complexité des sentiments qui accompagnent la passion amoureuse.
Également composée après la passion, son œuvre narrative principale, la Confession d'un enfant du siècle (1836), est une autobiographie romancée qui, avec quelque emphase et quelque complaisance, analyse l'âme tourmentée du poète. On y trouve surtout l'expression du sentiment de trahison que ressentait la génération de 1830, celle qui vit ses espoirs anéantis par l'échec du soulèvement de Juillet et son avenir confisqué par les notables de la monarchie Louis-philipparde.
Malade et épuisé précocement, Musset poursuivit ensuite sa carrière d'auteur dramatique avec de nouvelles pièces, moins réussies que les précédentes, telles que Il ne faut jurer de rien (1836), Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée (1845), On ne saurait penser à tout (1849). En 1838, il avait été nommé conservateur d'une bibliothèque ministérielle, ce qui lui permit de mener une vie tout à fait décente quoique moins brillante qu'à ses débuts. La perte de son emploi, en 1848, sans le réduire à la misère, le conduisit à écrire des œuvres de commande. En 1852, il fut élu à l'Académie française, alors que le public s'était détourné de lui, que son théâtre commençait timidement à être représenté et qu'il n'écrivait pratiquement plus. Il mourut à Paris le 2 mai 1857.
Quelques poèmes de l'auteur:
Souvenir
J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
O la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !
Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu'une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un coeur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !
Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon coeur.
Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.
Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Et tu t'épanouis.
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
Sort mon ancien amour.
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant ;
Et rien qu'en regardant cette vallée amie
Je redeviens enfant.
O puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.
Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice !
Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir
D'une telle blessure, et que sa cicatrice
Fût si douce à sentir.
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n'ont point aimé !
Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère
Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t'a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l'as dit ?
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.
Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
Ses regards éblouis ;
Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant,
Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie
N'est qu'un affreux tourment !
Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire,
D'un éternel baiser !
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine
Dont quelqu'un n'ait douté ?
Comment vivez-vous donc, étranges créatures ?
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ;
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
Ne vous dérangent pas ;
Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène
Vers quelque monument d'un amour oublié,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
Qu'il vous heurte le pied.
Et vous criez alors que la vie est un songe ;
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge
Ne dure qu'un instant.
Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie
A secoué les fers qu'elle traîne ici-bas,
Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
Ne le regrettez pas !
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière :
C'est là qu'est le néant !
Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ?
Que demandent au ciel ces regrets inconstants
Que vous allez semant sur vos propres ruines,
A chaque pas du Temps ?
Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l'enlève.
Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents,
Sur un roc en poussière.
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nom que leur propre lumière
Dévore incessamment.
Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs pieds,
La source desséchée où vacillait l'image
De leurs traits oubliés ;
Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile,
Etourdis des éclairs d'un instant de plaisir,
Ils croyaient échapper à cet être immobile
Qui regarde mourir !
Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète.
Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur,
Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète,
Si le vent te fait peur ?
J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses
Que les feuilles des bois et l'écume des eaux,
Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses
Et le chant des oiseaux.
Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres
Porté par Roméo.
J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Une tombe vivante où flottait la poussière
De notre mort chéri,
De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé !
C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde
Qui s'était effacé !
Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
Ses lèvres s'entr'ouvraient, et c'était un sourire,
Et c'était une voix ;
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus ;
Mon coeur, encor plein d'elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.
Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j'aurais pu crier : " Qu'as-tu fait, infidèle,
Qu'as-tu fait du passé? "
Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ;
Et je laissai passer cette froide statue
En regardant les cieux.
Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère
Que ce riant adieu d'un être inanimé.
Eh bien ! qu'importe encore ? O nature! ô ma mère !
En ai-je moins aimé ?
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête :
Jamais ce souvenir ne peut m'être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m'y tiens attaché.
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent;
Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu'ils ensevelissent.
Je me dis seulement : " À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle. "
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l'emporte à Dieu !
Rappelle-toi:
Rappelle-toi, quand l'Aurore craintive
Ouvre au Soleil son palais enchanté ;
Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive
Passe en rêvant sous son voile argenté ;
A l'appel du plaisir lorsque ton sein palpite,
Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite,
Ecoute au fond des bois
Murmurer une voix :
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, lorsque les destinées
M'auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l'exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré ;
Songe à mon triste amour, songe à l'adieu suprême !
L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon coeur battra,
Toujours il te dira
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Ecoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.