Nous sommes en 1974. L'époque est au glam rock ou au rock progressif, aux concepts albums. L'urgence du rock and roll des années 50 et 60 était loin et des groupes comme les Stooges et les New York Dolls faisaient figure d’exceptions. Mais à New York, dans un bar insalubre des bas fonds de Manhattan, devant un public composé majoritairement de travestis, un groupe s'apprête à donner son premier concert. Le bassiste crie « one, two, three, four…» et le groupe se met à jouer... mais personne ne s’est lancé dans la même chanson. Furieux les gars quittent la scène avant de revenir, l'endroit s'appelle le CBGB et le groupe The Ramones.
Tout a commencé quand un midi Johnny Ramone (alias John Cummings) et Dee Dee Ramone (alias Douglas Colvin) décident d'aller s'acheter une guitare et une basse pour 50$ chacune. Ils aiment la musique violente et les groupes pop des années 60 comme les Bay City Rollers. Johnny a choisi comme instrument une Mosrite. Si le choix résulta plus de critères économiques cela allait avoir des conséquences importantes pour le son du groupe. Les Mosrites étaient des guitares utilisées dans la surf musique au son clair et agressif. A l’époque, elles étaient passées de mode aux profits des guitares à double micro comme les Gibsons qui permettaient d’avoir le son hard-rock du moment. Non seulement ce choix donnait une partie de son identité sonore au groupe mais établissait un lien avec les groupes des années 60 qu’ils chérissaient.
Ils se mettent à répéter avec leur ami Joey Ramone (alias Jeff Hyman) à la batterie. Jeff a déjà chanté dans un groupe de glam rock appelé Sniper. Si au départ Cummings ne l’aime pas car il est habillé en hippie (et le futur Johnny Ramone n’aime pas les hippies, dans son amour pour tout ce qui est violent et malsain, il préfere Charles Manson. Comme le montre l’un des vers de « Glad to see you go » sur leur deuxième album : « And in a moment of passion get the glory like Charles Manson » ). Mais Joey a fait de l’hôpital psychiatrique et c’est ce qui le rend fréquentable. Il est aussi du genre à faire de la peinture avec des bouts de légumes et c’est un compagnon de boisson de Dee Dee.
Au départ c’est Dee Dee le chanteur mais il laisse rapidement le micro à Joey car celui ci se souvient des paroles. Tommy Ramone (alias Tamas Erdelyi) le gérant du studio de répétition passe alors à la batterie. Au moment de trouver un nom, Dee Dee se souvient que Paul Mc Cartney au début des Beatles prenait le pseudonyme de Paul Ramon dans les hotels où le groupe de Liverpool descendait. Aussitôt chaque membre du groupe adopte le patronyme. Le gang des faux frères était né.
A force de répétitions et de concerts au CBGB les Ramones acquièrent une certaine notoriété. Ils deviennent même la coqueluche de la scène new-yorkaise. Leur musique est novatrice et rompt avec celle des autres groupes de l'époque. Comme ils n'arrivent pas à reprendre les groupes 60's dont ils sont fans ils écrivent leurs propres chansons. Celles ci sont très rapides et très courtes, certaines font moins d'une minute et les solos de guitare en sont absents. Les paroles sont volontairement débiles et négatives avec des slogans comme « Hey Ho Let's Go », « Gabba Gabba Hey ». Plein de leurs titres commencent par « I don't wanna… » et leur seule chanson positive est « Now I wanna sniff some glue ». Les Ramones sont en train de créer le punk rock.
Johnny Ramone s’impose comme le patron et a des idées bien arrêtées sur comment doit être son groupe. Il a reçu une éducation militaire et considère ceci comme une très bonne chose devant être inculquée à tout le monde. Travailler dans le bâtiment lui a permis de muscler ses avant bras et ses poignets. Ca lui permettra de développer son jeu de guitare très rapide, tant de fois imité et jamais égalé où tout est dans l’attaque. C’est aussi un fervent républicain et, dans les années 80 il soutiendra Ronald Reagan. Il impose au groupe une discipline de fer et le port d'un uniforme: coupe au bol, t-shirt, perfecto, jeans déchirés au genou et converse qui permettent aux fans de s'identifier facilement au look de leur héros. Il n’aime pas non plus les groupes qui se regardent durant leur set. Cela ne sera jamais le cas des Ramones. Ils jouent pour leur public.
Ce ne sont pas vraiment des gentils garçons. Le groupe sera décrit parfois comme un mur de haine. Mais les membres des Ramones ne sont pas capable de faire autre chose de leur vie. C’est peut être là le secret de la longévité du groupe. Dee Dee Ramone dira d’ailleurs que les tournées l’ont sauvé de la rue. Le bassiste était à la fois l’élément ingérable tout en étant également le principal compositeur. Né d’un père militaire et d’une mère allemande il grandit sur les bases américaines situées en RFA. Les références au nazisme dans certaines de ses chansons viendraient elles de cette époque ? Il découvrira là bas le rock and roll mais aussi la morphine. Suite au divorce de ses parents il suit sa mère à New York. Dee Dee n’envisage pas la vie sans drogues. Il sniffe de la colle avec Johnny, picole avec Joey. Accro à l'héroïne, ses compagnons de défonce sont Johnny Thunders et Jerry Nolan (ex New York Dolls et fondateurs des Heartbreakers)
A l’automne 1975 les Ramones sont le premier groupe punk-rock à être signé sur une major, Sire Records. L'album Ramones sort en juillet 1976 et malgré de bonnes critiques ne se vend pas énormément.
Alors le groupe tourne, ne quittant leur camion que pour enregistrer un nouvel album. Le groupe joue pour la première fois en Angleterre en juillet 1976. Ils n'ont jamais eu autant de public. Dans la salle les membres des Sex Pistols et des Clash sont fortement impressionnés. Ces derniers suivront le conseil des Ramones : ne pas attendre de savoir jouer pour se lancer.
En 1977, les Ramones enregistrent Leave Home et Rocket to Russia. Des albums remplis de tubes mais le groupe poursuivi par la malchance ne rencontre pas le succès escompté. Sur Leave Home, l’un des tubes potentiels « Carbona not glue » doit être retiré car Carbona est une marque déposée. Au moment de la sortie de Rocket to Russia , Joey Ramone s’ébouillante avant un concert à New York. Le groupe assure le concert mais doit annuler sa tournée laissant les Sex Pistols qui débarquent sur le continent américain symboliser le punk. Le single « Rockaway Beach » fait pour être la chanson de l’été sort lui en hiver et ne sera donc jamais un succès.
Alors qu’aux Etats-Unis le mouvement punk est cantonné à New York. En Angleterre sous l’impulsion de Malcom Mc Laren le manager des Sex Pistols, il explose et fait scandale. La majorité bien pensante se sent agressée par cette jeunesse qui ne recule devant aucune provocation et aucune obscénité pour choquer. Et à l’époque en Amérique c’est surtout le règne du disco, symbolisé par le film Saturday Night Fever, ou des groupes de hard-rock comme Kiss. La tournée des Sex Pistols va choquer l’Amerique profonde et le scandale autour des morts de Nancy Spungen et de Sid Vicious n’allait pas faciliter la possibilité d’un succès commercial. Des autodafés de disques punks seront mêmes organisés avec le slogan « Kill a punk for rock and roll ».
Incapable de tenir le rythme effréné des tournées Tommy Ramone quitte le groupe en 1978 mais on le retrouve à la production sur les albums Road to ruin et Too tough to die. C'est Marky Ramone (alias Mark Bell) qui lui succède derrière les fûts, ex batteur d'un autre groupe de New York, Richard Hell and the Voidoids. Un bon cogneur même si de l'avis des membres du groupe ils ne retrouveront jamais le beat primaire de Tommy. L'album Road to ruin sort qu'on peut considérer comme le dernier disque de la période dorée du groupe avec aussi Iit‘s alive concert du 31/12/77 enregistré à Londres avec Tommy à la batterie.
Si Les Ramones ont vu leur musique reconnue, ils n’ont pour l’instant jamais eu de hit. En plus une partie de la critique leur reproche leur crétinisme revendiqué quand les groupes anglais dénoncent la société avec leurs paroles revendicatrices. Mais les Ramones se sont construits contre les groupes hippies qui voulaient changer le monde et revendiquent un retour à l’esprit fun du rock and roll originel des années 50.
On peut comparer leur « Gabba gabba hey » à « a wop bop a loo bop a lop bam boom » qui ouvre le classique « Tutti Frutti » de Little Richard. Dans leurs paroles le gang new yorkais parlait de son quotidien fait de frustration de drogues d’aliénation et d’ennui.
Alors histoire de se rapprocher du succès et s’inspirant peut être d’Elvis et des Beatles ils tournent alors dans le film Rock n Roll Highschool réalisé par un spécialiste de la série B, Roger Corman. Parallèlement ils enregistrent avec le producteur Phil Spector End of the Century. Une expérience mitigée même si ça sera leur meilleur classement dans les charts.
Car les années 80 ne seront pas glorieuses. L’heure est à la new wave. Dans l’underground la no wave et le hardcore sont à leurs balbutiements. Le punk est considéré comme passé de mode. Les Ramones ont beau enregistrer une chanson intitulée « We want the airwaves » sur l’album Pleasant Dreams, ils sont à ce moment là considérés comme has been. Alors pour survivre le groupe tourne sans relâche et enregistre des albums, en restant fidèle à leur marque de fabrique, où les bons morceaux côtoient l’anecdotique. Les heures glorieuses sont bel et bien révolues et le groupe est handicapé par les problèmes personnels. Après Subterranean Jungle , Marky est viré pour alcoolisme et est remplacé par Richie Ramone (alias Richie Beau ex Velveteens). Dee Dee de plus en plus marqué par ses problèmes de drogues fait de réguliers séjours en psychothérapie. Les rapports entre les faux frères sont désastreux. Dans leur camion en tournée chacun a son compartiment et tous évitent de se croiser en dehors du moment où il faut monter sur scène. Le meilleur album de ces années noires est sûrement Too tough to die où l’on trouve à la fois des morceaux sonnant comme une réponse au mouvement hardcore émergeant mais aussi la chanson « Howling at the Moon (Sha-La-La) » produit par Dave Stewart d’Eurythmics.
Mais en 1989 le groupe allait refaire parler de lui. Au moment où son roman Simetierre allait être adapté au cinéma, l’écrivain de roman d’horreur à succès Stephen King allait demander au groupe de participer à la bande son. « Pet Semetary », présente aussi sur l’album Brain Drain, est un succès et les Ramones deviennent des parrains pour une nouvelle génération de jeunes groupes prête à faire parler d’elle. Et c’est sur cet album qu’on voit aussi le retour de Marky désormais sevré.
Bientôt Dee Dee, le Ramone le plus ingérable, est lessivé par son mode de vie et décide de jeter l‘éponge.
Il enregistre alors un album rap sous le nom de Dee Dee King. Auteur d’une grande majorité des chansons du groupe il continuera de composer pour les Ramones après son départ. Son remplaçant C. J. Ramone (alias Christopher Joseph Ward) plus jeune, plein d’enthousiasme apporte un nouveau dynamisme.
Cela se ressentira surtout en concert. Si le groupe ne sort pas de nouveaux chefs d’œuvres dans les années 90, ils sont maintenant reconnus et respectés. Avec l’émergence du punk californien d’ Offspring, Rancid et Green Day et du grunge de Nirvana et Pearl Jam les groupes à la mode revendiquent une filiation avec le groupe new-yorkais. Et les Ramones font même une apparition dans la série animée The Simpsons.
Continuant les tournées mais cette fois ci sold-out le groupe se fait plaisir avec un album composé uniquement de reprises Acid Eaters avant de tirer sa révérence avec un dernier album studio Adios amigos! et un dernier live We’re outta here!
Joey Ramone qui était le membre du groupe le plus ouvert par rapport au reste de la scène punk rock, toujours prêt à donner un coup de main ou des conseils, enregistrera un album solo malgré son cancer de la gorge. On retrouve dessus Marky. Un beau témoignage d’optimisme et de combativité malgré la maladie car il s’intitule Don’t worry about me et on retrouve notamment une version punk rock du classique de Louis Amstrong « What a wonderful world ».
Et si les Ramones de leur vivant n’ont jamais eu de tubes comme ils l’espéraient ils ont marqué de nombreux groupes ces trente dernières années. Certains d’entre eux de véritables copies conformes, comme The Queers ou Screeching Weasel, leur ont rendu hommage en reprenant des albums entiers.
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